mardi 28 juillet 2009

DOSSIER
PILLAGE DES RESERVES FONCIERES, SABOTAGE DES JARDINS PUBLICS
Dakar sacrifie la future génération
par Mame Aly KONTE SUD QUOTIDIEN , lundi 27 juillet 2009

Une place de l’Obélisque mal entretenue, Soumbedioune et sa petite aire de repos en face, à l’abandon, la corniche blessée et meurtrie, quelle belle place reste-t-il à la ville de Dakar ? Cherchez l’erreur, mais il sera bien difficile aux plus fûtés, de donner une bonne réponse à cette question. Dans une ville où le rêve du beau a disparu, la mode est aux ouvrages physiques surdimensionnés. Et comme dit l’artiste plasticien, spécialiste de la ville, Vieux Diba, l’infrastructure technique a fini par tuer l’esthétique dans la ville. Comme si on voulait rayer des mémoires, le beau à la seule place du fonctionnel. Et d’ailleurs pour quelle fonctionnalité ?

Même doté d’infrastructures qu’elle n’a jamais eu depuis le premier tracé urbanistique qui date de 1862 par le lieutenant de vaisseau Pinet Laprade, le nouveau Dakar ne plaît résolument pas aux artistes, encore moins aux urbanistes qui ont été pris de court dans les efforts d’aménagement et de réorganisation de la ville. Pire, il ne plaît pas non plus, à l’observateur qu’est le citoyen. Anonyme, insécure autour de ses ouvrages que sont ponts, échangeurs et travées, la ville est composée selon tous ces observateurs, d’espaces de rupture. Sans connexion entre certains quartiers et la ville. Le malaise est tellement frappant, que tous ces efforts gigantesques à l’initiative du président de la République et de l’Agence pour l’Organisation de la Conférence islamique (Anoci), n’ont pas été faits gratuitement, mais à coûts de milliards de francs. Entre 400 et 500 milliards, selon les estimations.

Tout cet argent, déplorent certains Dakarois, n’a permis à édifier que des murs de séparation entre les gens de ville, en éliminant les espaces verts, au rang desquels, la Corniche sur le bord de mer qui a été la principale victime. Envahie de toutes parts, pour les besoins de constructions d’appartements, d’hôtels, pour aussi les besoins d’un aménagement particulier pour certains « profitards » proches du régime, ces espaces qui faisaient un peu office de zones d’urbanisme d’exception dans la ville, ont laissé place au béton et encore… au pillage. Autoroute, corniche, Voie de dégagement nord, voilà les principaux murs qui ont fini de couper en trois la ville de Dakar, opérant des aires de séparation entre une partie contre une autre dans la ville.

Si vous ajoutez à cela, les nouvelles occupations anarchiques au niveau de la Foire internationale de Dakar et des anciennes réserves foncières au niveau de l’aéroport de Dakar, il est aisé de dire que la ville a fini de « bouffer » ses espaces de respiration et de rencontres. Surtout qu’au milieu de tout ce désastre, aucun avenir ne semble être offert à la zone humide des Niayes de Dakar. Un espace menacé aussi par le logement, la pollution. Une aire où n’a été aménagé aucun projet de rencontre entre les populations et toute la flore et la faune qui y résident. Tout à côté de la zone fermée des Maristes, dans la Niaye de Cambérène, se trouve encore l’un des plus beaux espaces encore en vie dans la ville : le parc paysager de Cambèréne. Ce paradis de plusieurs hectares à l’intérieur duquel se trouve la Direction des paysages et des espaces verts de Dakar, ne bénéficie d’aucune forme d’attention de la part des autorités. Il est encore loin de leur préoccupation.

Pourquoi le jeu a été faussé, pourrait-on se demander ? Pour l’architecte Mbacké Niang, « C’est parce qu’on n’a pas pensé à s’attaquer au problème de fond de la ville de Dakar. Les planificateurs qui ont été à la base de ces projets n’ont pas compris qu’il y a le Dakar de l’époque coloniale et celui d’aujourd’hui. Alors, qu’est-ce que les colons ont voulu faire à cette époque : en réalité, poursuit Mbacké Niang, jusqu’ici l’Etat n’a fait que renforcer le principe de ville séparée érigée par les colons. Or les colons, ont opté dès le départ, pour une architecture coloniale à côté d’un urbanisme basé sur le même principe… Donc colonial et pour la même trame avec absence d’espaces publics, de cadres de rencontres pour la citoyenneté propre aux Africains que nous sommes. Pour nous aujourd’hui, le problème est de savoir quelle ville nous voulons ? »

Tous ces manquements sont nul doute en contradiction avec la volonté de faire respirer la ville et ses habitants. Citant le cas de Marrakech, Hamidou Bocoum, Directeur du Patrimoine culturel a déploré le fait que Dakar ne puisse corriger les graves anomalies qui font d’elle et de plus en plus, une ville impossible. Jamaa El Fna, pour ceux qui connaissent Marrakech, est un des espaces urbains, les plus exotiques au monde avec son souk, son grand marché au fruit (l’orange, le citron et le melon principalement). Toutes choses qui font de cette vaste place située au cœur de la cité touristique de Marrakech, un espace de rêve, principal lieu visité par le touriste qui vient dans la vieille ville du sud marocain.

Au même moment, l’agglomération dakaroise avec le président de la République qui en a fait son domaine de prédilection, est devenu un espace de tous les excès. Au lieu de protéger la vie paisible des citoyens, on semble se venger sur le passé. En occupant tous azimuts, les dernières poches de terre disponibles laissés par les régimes de Senghor et Abdou Diouf. Est-ce vraiment cela le but du jeu ? Qui ose imaginer, pour demain, que le domaine de Roissy Pôle sur les marges de la ville de Paris, soit réservé au logement des gens du pouvoir de Sarkozy à la place du projet du plus grand aéroport d’Europe ? Qui peut imaginer que Saint-James Park au cœur de Londres, espace privilégié et de promenade et de repos pendant l’été soit rayé de la carte de la ville par la seule volonté d’un président de la République et ses sujets ? Voilà les questions que les Dakarois devraient se poser. S’ils ne la font pas, la génération qui arrive et celle qui devrait suivre, ne verront plus la même ville que nous.

Le temps presse. Et les gens qui sont au pouvoir, en revanchards, semblent avoir opté pour le pillage des dernières réserves foncières. Non pas pour les besoins de logements des sans logis de la ville, mais surtout, pour leur envie de richesse. On multiplie les logements pour certains au moment où d’autres n’en disposent pas. Dans le genre, la destruction du stade Assane Diouf, est encore une grosse couleuvre qu’il leur est de plus en plus difficile à avaler. Au moment où le quartier de Rebeuss suffoque, on lui ferme l’accès à la mer, pour les besoin de tours auxquels quelques-uns parmi, n’accèderont jamais.

Assane Diouf disparu, Dakar aura du mal à effacer de sa mémoire cette aire de jeu en face de l’Atlantique, la seule disponible autour du Plateau. Aujourd’hui la ville fait les frais des insinuations et des « histoires » créées de toutes pièces par des gens malhonnêtes, soi-disant proches du régime de Wade et qui en réalité, ne sont ni pour lui, encore moins pour l’avenir de la ville de Dakar et du Sénégal.
Désordre et indiscipline au menu
Urbanité et citoyenneté en souffrance

Marrakech, Ouaga, New York, le contraste est de plus en plus frappant quand on compare l’univers de ces villes, à l’anarchie de Dakar. Comment vivre donc dans une ville surdimensionnée et dont les derniers espaces verts palissent ? Pour Serigne Mansour Tall, Représentant en Afrique de l’ouest (Sénégal-Cap Vert) de l’Organisation des Nations Unies pour les Etablissements humains, (Onu-Habitat), les réponses semblent bien difficiles. Parce qu’il n’existe pas encore un rêve d’un Grand Dakar.

La ville souffre aussi du fait qu’elle ne compte plus d’endroit qui fait rêver à l’image de la 45 ème avenue à New York sortie de l’imagination d’élus et de gouvernants qui savent lire la ville. Dakar, selon Mansour Tall, à l’exemple de la petite cité sahélienne de Ouagadougou, souffre aussi du fait que ces habitants ne connaissent plus ni grand festival, comme celui du Cinéma (le Fespaco) encore de grand salon annuel, comme le Salon international de l’artisanat Ouagadougou, (Siao). Pourquoi Paris et son agglomération sont restées les principales destinations touristiques au monde ? Pour leurs espaces verts, pour les musées et monuments. Pour les couleurs de la ville tout simplement, rappellent certains intervenants.

A côté de tout cela, les constats de Baba Diop, journaliste, scénariste et Ben Diogoye Bèye, cinéaste et producteur, sont encore plus saisissants. Tous les deux s’insurgent contre ce qu’ils qualifient de sabotage. Mêlant le côté vert morose au manque d’inspiration des planificateurs, s’il en existe, la mort programme des grands arbres de Dakar, l’absence de belles espèces sur les nouvelles avenues représentent, à les en croire, « un véritable danger pour la mémoire de la cité. » Alioune Badiane, ancien Directeur de l’Aménagement urbain, ne dit pas autre chose quand il a comparé les ouvrages actuels érigés dans la ville, à des infrastructures qui rappellent celles qui ont été édifiées dans les années 30 en Afrique. A l’en croire, « les erreurs ne pourront pas être répétées de manière éternelle. A un moment, il faut corriger les erreurs, s’inspirer de ce que font les autres dans le monde et en mieux. Edifier encore de véritables projets urbains dont les fondements sont bien maîtrisés par les structures qui s’occupent de la vie dans la cité. »

Source:Sud Quotidien du 28-07-2009
www.envi-medias.blogspot.com

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